Élections US : et si Kamala Harris gagnait… grâce à TikTok ?

Publié le 26 août 2024

Alors que la campagne présidentielle américaine de 2024 bat son plein, la candidate démocrate Kamala Harris parie sur TikTok pour séduire les jeunes électeurs. Décryptage d’une campagne où mèmes, culture pop et stratégie digitale diversifiée pourraient faire la différence.

Depuis sa percée en première ligne dans la course à la présidentielle US, fin juillet 2024, Kamala Harris (59 ans) et la team digitale qu’elle a récupérée du président candidat Joe Biden, composée d’environ 175 (jeunes) personnes, ont misé sur une stratégie d’acquisition d’électeurs. En visant résolument, via TikTok, les jeunes générations, moins enclines à s’informer par les médias traditionnels, et moins enclines à voter tout simplement.

Deux comptes, une dynamique

Fini les narratifs politiques classiques de papy Biden (81 ans). Désormais, le compte officiel de campagne des Démocrates sur la plateforme de divertissement, @KamalaHQ (@BidenHQ jusqu’au 22 juillet), exploite les tendances visuelles et sonores, les mèmes et les codes spécifiques de TikTok pour capter l’attention.

Pour le dire autrement, ce compte sous-titré « Providing context » joue, assez paradoxalement, avec les dynamiques de viralité propres à TikTok et à son tout puissant algorithme, pour amplifier son audience. Et peu importe que le réseau chinois soit plus que jamais menacé de bannissement… Kamala Harris accélère.

Sous son ère de présidentiable, plus de 116 vidéos ont déjà été publiées sur @KamalaHQ, soit 3,3/jour (et jusqu’à 7 vidéos quotidiennes depuis la convention de Chicago), contre un total de 335 pour Joe Biden depuis sa création, mi-février dernier, soit un peu plus de 2 vidéos/jour.

Et ça fonctionne ! Fort de ses 3,8 millions d’abonnés, le compte de campagne de la Démocrate affiche un volume moyen de vues par vidéo multiplié par plus de 10 en quelques semaines. Il a accumulé 90,6 millions de « J’aime » et atteint un taux d’engagement de 17,7% à faire pâlir la méga influenceuse Charli D’Amelio (7,6%).

La recette à succès du clan Harris est à peu de choses près identique sur @kamalaharris, le compte personnel que la candidate désormais officiellement intronisée par son parti a décidé d’ouvrir le 25 juillet dernier. Ouvert parce que, a-t-elle indiqué dans sa première vidéo, « I’ve heard that recently I’ve been on the For You Page, so I thought I’d get one here myself. »

Comme un appel d’air sur TikTok ? Oui, depuis mai 2023, précisément depuis la citation virale “You think you just fell out of a coconut tree?”, qui portait sur l’importance de se voir comme partie intégrante d’une communauté plutôt que comme une personne isolée, le fil de recommandations de TikTok est truffé de vidéos, de remixes, de hashtags et de mentions d’une Kamala Harris déjà très proche de nombreux influenceurs lorsqu’elle était « simple » colistière de Joe Biden.

Certes, ce nouveau compte « perso », sous-titré « When we fight, we win », est moins prolixe que @kamalaHQ (31 vidéos jusqu’ici, soit 1 par jour). Mais il est au moins aussi magnétique. En un mois, @kamalharris a déjà attiré 4,7 millions d’abonnés, suscité 30,8 millions de « J’aime », et son taux d’engagement moyen a atteint 13%.

Contraste avec Trump

En comparaison, le compte TikTok de Donald Trump (78 ans), qui a été créé le 2 juin dernier, a diffusé 13 vidéos jusqu’à présent (0,15/jour). Avec 10,6 millions d’abonnés, il est environ 2,2 fois plus suivi que le compte personnel de sa rivale. Mais il dépasse à peine les 6,4% de taux d’engagement moyen.

Il faut dire que, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer sur les antennes de la RTBF, au cours d’une longue interview conduite par Anne-Sophie Bruyndonckx (La Première), en contraste avec l’approche dynamique, interactive, souvent dansante, toujours souriante de Kamala Harris, le 45ème Président des USA fait pâle figure ; en restant fidèle à des méthodes numériques plus traditionnelles qui remontent à celles qui ont contribué, tout comme Cambridge Analytica et la Russie, à son élection, en novembre 2016.

Toujours l’air sévère, simple dans ses éléments de langage, le Roi des punchlines violentes et recyclées sur toutes les plateformes, pourrait tenter d’accélérer, lui aussi, sur TikTok. Pour tenter de séduire un électorat plus jeune que celui qui lui est acquis.

Après tout, les algorithmes adorent les contenus clivants et sidérants, qui captent l’attention dans la durée (concept de « dwell time »), et les fake news, qui se propagent 6 fois plus vite que l’info réelle (étude de 2018).

Les limites de Truth Social

Mais Donald Trump le veut et, surtout, le peut-il vraiment ?

D’une part, il semble coincé en mode « communication top-down » avec son personnage, sa posture unique et ses seuls comptes sociaux. Et contrairement à Kamala Harris, il ne peut pas s’appuyer sur un soutien massif de la communauté TikTok. Sur des reprises, des remixes ou de grandes vagues de contenus générés par les utilisateurs (CGU), plus ou moins militants.

Son influence pop-culturelle est limitée. Très limitée. Travailler ce champ, avec le soutien de Kanye West par exemple, serait peut-être même contre-productif. De nombreux artistes, dont Beyoncé, Adele, Rihanna, les Foo Fighters, The White Stripes, Abba, Bruce Springsteen, Neil Young, Céline Dion et les Rolling Stones, ont publiquement demandé que leurs chansons ne soient pas ou plus associées à sa campagne… Alors que, pendant ce temps-là, la Queen Beyoncé a offert l’utilisation d’un titre, et quel titre (« Freedom »), comme hymne de campagne de Kamala Harris.

D’autre part, Donald Trump est également coincé parce qu’il ne peut pas privilégier TikTok (pas plus que Facebook, Instagram ou X), sauf au détriment de Truth Social.

« Truth Social » ? Mais si, souvenez-vous… Face à son exclusion des principales plateformes après l’assaut du Capitole en 2021, Donald Trump avait lancé son propre média social. Présentée comme une alternative « non-woke » aux réseaux sociaux dominants, Truth Social, se voulait un espace sans censure pour ses partisans.

Souci : jusqu’ici en tout cas, la plateforme de Donald Trump peine à s’imposer. Avec moins de 5 millions d’utilisateurs actifs (contre plus de 170 millions pour TikTok rien qu’aux USA) et une valorisation boursière en chute libre, son impact reste très limité par rapport aux géants numériques comme TikTok, qu’il avait voulait bannir et veut à présent sauver, et X (ex-Twitter), de son nouvel ami libertarien et de plus en plus extrémiste, l’autrefois démocrate Elon Musk.

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IA et « post-réalité » : nouvelles Trumperies

Malgré ces limitations, Trump utilise Truth Social pour continuer à diffuser ses messages et maintenir une omniprésence numérique, souvent épinglée par les médias traditionnels dans la foulée. Il y partage en toute liberté des posts incendiaires, des théories complotistes, des attaques contre ses adversaires et, de plus en plus, des contenus générés rapidement et à moindre coût par l’intelligence artificielle (IA)… alors qu’il a accusé Kamala Harris à tort d’utiliser l’IA pour instrumentaliser la vérité. Il n’est pas à un paradoxe près.

Récemment, par exemple, cherchant à manipuler les perceptions dans une dynamique de « post-réalité », où vérité et fiction sont volontairement brouillées pour influencer l’électorat, Donald Trump a publié sur son réseau des images générées par IA montrant Taylor Swift déguisée en Oncle Sam et prétendant soutenir sa candidature, ainsi que des groupes fictifs de « Swifties for Trump ».

En attendant les « Swifties » ?

Pourquoi l’ancienne star de la country US ? Précisément parce que la campagne de Kamala Harris pourrait bénéficier d’un soutien décisif de la part de Taylor Swift, l’une des personnalités les plus influentes de la pop culture américaine. Qui a intensifié son engagement politique et pourrait potentiellement mobiliser ses millions de fans US derrière Kamala Harris.

Les « Swifties » ne sont pas seulement un groupe de fans : ils et elles forment une force économique et numérique redoutable, capable de mobiliser des fonds et lancer des tendances virales en un instant. Au point que la puissance de ce groupe pourrait faire basculer la dynamique de la campagne en faveur de Kamala Harris, en renforçant sa visibilité auprès d’un public jeune et passionné.

Ce soutien potentiel, attendu, s’inscrit dans une dynamique plus large, illustrée entre autres par le mouvement « Brat » (comprenez « sale gosse ») initié par Charli XCX, qui vise à créer un sentiment d’appartenance et d’émancipation pour les jeunes générations. Ce mouvement rebelle et décomplexé colle parfaitement avec l’approche authentique, inclusive et participative de Kamala Harris.

Une candidate à laquelle il est facile de s’identifier, qui a déjà été soutenue par Pink, Kapp, Megan Thee Stallion, le mouvement « Black Joy », les “White Dudes” emmenés par Jeff Bridges, “Out for Harris », les « Creative for Harris« ….

« Yes, she can »

En complément de cette stratégie TikTok, qui permet de récolter des sourires, des likes, des bénévoles et des dons, la campagne Harris bénéficie d’un soutien massif et visible de toute une série de fondations, d’institutions, de think tanks et, bien sûr, de son parti et des figures démocrates majeures, notamment Bill et Hillary Clinton, Barack et Michelle Obama, etc.

@nbcnews “Yes, she can,” former President #Obama said as he detailed #KamalaHarris ♬ original sound – nbcnews

Leur énorme influence, indirecte sur les réseaux sociaux, s’avère particulièrement précieuse dans un contexte où la personnalité et l’image jouent un rôle central dans la dynamique électorale. Des vents extrêmement puissants pour gonfler les voiles du Kamalamania…

Bien plus puissants, même, que ce que peuvent faire les colistiers, avec leurs comptes TikTok tout récents :

  • Tim Waltz pour Harris, avec 1,3 million d’abonnés, 3 millions de J’aime et un taux d’engagement de 18,7%
  • J.D. Vance pour Trump, avec 467.000 followers, 655.000 J’aime et un taux d’engagement de 11,45%

Une stratégie décentralisée…

Contrairement à une campagne traditionnelle où les messages sont contrôlés et uniformes, la stratégie du camp Harris repose sur une approche décentralisée, où les utilisateurs eux-mêmes deviennent des acteurs de la campagne. Chaque partage, chaque mème au fort potentiel de décontextualisation, chaque vidéo participative contribue à créer un écosystème numérique vivant et en perpétuel mouvement.

Et l’équipe de campagne numérique de Kamala Harris ne se limite évidemment pas à TikTok pour atteindre les (jeunes) électeurs. À côté des canaux moins visibles mais très utilisés par les plus militants comme les SMS, Whatsapp, Messenger, Telegram, ou Discord, à côté de YouTube (0,44 million d’abonnés), à côté de X (20 millions d’abonnés) pour les « political junkies » (dixit son directeur de campagne), à côté de Facebook (5,3 millions d’abonnés), pour les plus âgés, Kamala Harris est présente sur Instagram, ZE réseau des Millenials. Là aussi via deux comptes certifiés (17,8 millions d’abonnés + 16,8 millions).

Tout récemment, la VP s’est même invitée sur Twitch (8,6K abonnés), la plateforme de streaming vidéo populaire parmi les jeunes pour suivre des flux de jeux vidéo et des discussions en direct.

Bref, vous l’aurez compris : sur un échiquier politique polarisé (pas question, dans le système US, de coalition), l’objectif est de diversifier les canaux de communication numérique en touchant un public plus large, souvent déconnecté des médias traditionnels. En rendant Kamala plus accessible et plus authentique. « Relatable », diraient les spécialistes du storytelling.

… et payante

Cette photo panoramique « organique », sur laquelle Joe Biden est quasiment absent, est amplifiée et complétée par une stratégie payante. À côté des posts, les pubs, plus ou moins ciblées.

Oh, bien sûr, pas sur TikTok, où les publicités politiques sont clairement interdites. Mais partout ailleurs où c’est possible, à commencer par les deux navires amiraux de Meta, Facebook et Instagram, et par ceux d’Alphabet (Google et YouTube).

Au cours des 30 derniers jours, par exemple, les seuls deux comptes officiels de Kamala Harris ont dépensé plus de 21 millions USD sur Meta, alors que ceux de Trump ont à peine dépensé 2 millions USD.

Au total, selon une étude de WARC, les dépenses publicitaires pour l’élection présidentielle US devraient atteindre 16 milliards USD (+40% par rapport à 2020). Dont 3,5 milliards USD pour les seuls réseaux sociaux. 

Un tournant historique ?

L’élection présidentielle du 5 novembre prochain pourrait être un tournant historique pour les campagnes politiques à l’ère digitale. Si Kamala Harris parvient à transformer sa viralité digitale en votes, elle pourrait marquer un changement durable dans la manière dont les candidats se connectent avec les électeurs, en s’appuyant sur des mouvements culturels et des réseaux sociaux non seulement pour diffuser des messages, mais aussi pour façonner tout un imaginaire collectif.

Dans un contexte où les jeunes générations représentent une force électorale croissante, mais très difficile à engager, la victoire pourrait revenir à celle ou celui qui maîtrise non seulement les codes de la politique, mais aussi ceux des algorithmes, des mèmes et de la culture virale.

@kamalaharris

I accept your nomination for President of the United States of America.

♬ original sound – Kamala Harris

Lors de sa prise de parole, le dernier jour de la convention démocrate, Kamala Harris a souligné que son élection serait « a chance to chart a new way forward ».

Sur les réseaux sociaux, TikTok en tête, elle a déjà commencé.

Xavier Degraux

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