Elon Musk et X : échecs… et mat ?

Il y a deux ans, précisément le 26 octobre 2022, Elon Musk est entré dans le quartier général de Twitter avec un évier. Et il a immédiatement twitté la vidéo avec les mots « Let that sink in! ».

Et justement, on « y réfléchit bien », à Twitter / X, depuis son rachat par l'homme le plus riche du monde (270 milliards USd de valeur nette). Au point d’affirmer que le « génial » patron de Tesla, SpaceX et Neuralink a quasiment tout loupé dans son projet X…

Une entreprise dévaluée

En octobre 2022, donc, Elon Musk a réuni 44 milliards USD pour s’offrir le réseau social à l’oiseau bleu. Un montant colossal (8,8 fois les revenus annuels), basé sur un prix de  54,20 USD par action, en clin d'œil au nombre 420, associé à la culture du cannabis; Une offre qu'il avait finalement maintenue, malgré des tentatives chaotiques de se rétracter.

Aujourd’hui, la valeur totale de X (ex-Twitter) est estimée à environ 9,4 milliards USD… selon un rapport de Fidelity, actionnaire du réseau social. Soit une chute de près de 79 % par rapport aux 44 milliards USD d’il y a 2 ans.

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« F*** you » aux annonceurs

C’est que les rentrées publicitaires de X ont fortement chuté depuis l’acquisition par Elon Musk, lorsqu’elles pesaient 91% des revenus du réseau social. Selon Fortune et Bloomberg, elles seraient passées de plus de 2 milliards USD au 1er semestre de 2022 à 1,48 milliard USD au premier semestre 2024 (-26%).

En quelques mois, les relations entre Elon Musk et les annonceurs de X se sont considérablement détériorées, en raison de ses nombreuses prises de position polémiques et, plus encore, d'une augmentation des discours de haine sur la plateforme, qui abîment la sacro-sainte « brand safety » qu’exigent les marques pour sortir le portefeuille.

Plusieurs annonceurs, comme Apple et Coca-Cola, ont rapidement quitté X. Puis Elon Musk a aggravé la situation, en les poursuivant en justice pour «boycott » (!) et en leur proposant  publiquement d’aller "se faire foutre", lors d’un événement à New York.

Depuis, la nouvelle CEO de X, Linda Yaccarino (ex-NBC Universal), tente de renverser la vapeur. Oui, ce n'est pas gagné. L'institut Kantar prédit d'ailleurs que 26% des annonceurs vont encore réduire leurs investissements sur X en 2025.

Un modèle économique fantasmé ?

Le mal est fait… alors que le modèle économique de Musk pour X ne s’est pas (encore ?) concrétisé.

Pour rappel, ce modèle repose sur une réduction de la dépendance aux revenus publicitaires, à hauteur de 50%, au profit d'abonnements payants, eux-mêmes assortis d’une réduction de la pression publicitaire. Un cercle vertueux en quelque sorte, qui est censé transformé le simple réseau social en application "all in", à la WeChat.

On en est très loin…

Selon Appfigures, X a généré environ 140 millions USD en revenus d'achats in-app nets (après commissions) depuis le lancement de son service d’abonnement.

Le mois dernier, X aurait réalisé 14,7 millions USD grâce aux abonnements mobiles, ce qui équivaudrait à environ 1,3 million d'abonnés payants. Autrement dit : peanuts ! 

Du coup, comme les abonnements à 10 USD ne représentent toujours qu'une toute petite fraction des revenus totaux, X lance de nouvelles initiatives (désespérées ?), par exemple en essayant d'attirer des créateurs en leur offrant des paiements basés sur l'engagement de leurs contenus.

Ce sera sans aucun doute insuffisant, tout comme la hausse des tarifs des API's. Or il y a le feu.

D’après des documents internes révélés par Bloomberg, les revenus de l'entreprise désormais basée au Texas (traditionnellement Républicain) devraient atteindre 2,9 milliards cette année (-34% sur 2 ans), alors que la dette de l’entreprise s’élèverait à 1,2 milliard USD par an...

Des licenciements aussi massifs que coûteux

Il faut dire que les marges de manoeuvre sont limitées. Quelques mois après être devenu propriétaire de Twitter, Elon Musk, qui avait déjà licencié toute la direction de l’entreprise dans les heures qui ont suivi le rachat, en a licencié 75 % des effectifs (environ 5.500 emplois sur 8.000).

En plus de ces licenciements massifs et violents, Elon Musk a immédiatement introduit des mesures controversées, comme la réduction des congés parentaux et l'obligation pour les employés de travailler plus d'heures (ou de quitter l'entreprise).

Malgré la "générosité" qu'Elon Musk affichait à l'époque, ces licenciements secs et ces décisions ont entraîné de nombreuses poursuites judiciaires, qui pourraient (continuer à) lui coûter très cher… Directement (procès) et indirectement, puisque tous ces licenciements ont fortement fragilisé l’entreprise.

Peu d’avancées technologiques

Techniquement, d’abord, les licenciements massifs, y compris dans les équipes de développement, ont provoqué de l’instabilité, un recul des performances techniques de la plateforme et un sérieux coup de frein en termes d’innovations.

Certes, Elon Musk a bien intégré des outils basés sur l'intelligence artificielle dans X, comme Grok AI, destiné à enrichir les fonctionnalités des abonnements Premium,. Mais ils sont encore loin de convaincre., notamment parce qu'ils renforcent actuellement des théories du complot au sujet des élections US et des accusations non fondées contre la vice-présidente, via des sujets "tendances".

Et l’algo de Twitter/X, il a bougé ? Oui oui, notamment pour favoriser la visibilité des contenus publiés par Musk lui-même et par des comptes qui partagent ses intérêts, comme celui de Ben Shapiro.

« Free speech »…

Ensuite, en virant la plupart des modérateurs de l’entreprise (ils ne sont plus que 1275 aujourd'hui, ai-je découvert), en misant beaucoup sur « plus d’IA », en dissolvant le conseil de confiance et de sécurité du réseau social et en réinstaurant des comptes précédemment bannis, notamment celui de Donald Trump, Elon Musk a tenté de traduire en réalité son slogan libertarien : "Free speech".

Concrètement, le nombre de suspensions pour discours haineux a chuté drastiquement, passant de 111.000 comptes en 2022 à seulement 2.300 en 2024.

Et d'après mes fouilles dans les rapports de transparence déposés en Europe par X dans le cadre du Digital Services Act (DSA), le nombre de modérateurs a encore fondu, de 45% cette fois, au cours des 12 derniers mois, le nombre total s'élevant désormais à 1275 personnes, dont 88% ont moins de 2 ans d'ancienneté dans leur rôle.

Traduction : alors que les sanctions contre la plateforme se font bien trop attendre, en Europe particulièrement, via ce même DSA, la tonalité des conversations s’est fortement dégradée, les bots, les fake news et les contenus illégaux se sont démultipliés et propagés à toute vitesse. Y compris via le compte d’Elon Musk.

Les dégoûtés sont partis, restent…

Une bonne partie des utilisateurs modérés de Twitter/X ne s’y sont pas trompés. Ils ont déménagé, tout comme toute une série de niches. Toutes et tous ont supendu ou supprimé leurs comptes, pour aller voir si l’herbe est plus verte du côté de BlueSky, Mastodon, LinkedIn ou Threads…

Les affirmations d'Elon Musk selon lesquelles X atteint de nouveaux records d'utilisation tous les deux mois sont contredites par les dernières données indépendantes.

Au Royaume-Uni, les données de Similarweb montrent que le nombre d'utilisateurs actifs quotidiens est passé de 8 millions il y a un an à environ 5,6 millions actuellement (-30%), avec plus d'un tiers de cette baisse survenue depuis les émeutes de l'été.

Le même phénomène se produit ailleurs, et pas seulement dans les pays où la plateforme a été (temporairement) interdite, comme au Brésil. Même aux États-Unis, où le nombre d'utilisateurs actifs a chuté d'environ un cinquième au cours des 16 derniers mois.

En Europe, toutefois, d'après les calculs effectués par mes soins sur base de la dernière déclaration de transparence que vient de remettre X à la Commission européenne pour la période avril-septembre 2024, dans le cadre de ses obligations liées au Digital Services Act (DSA), l'heure serait à présent à la hausse, de 8% sur un an, avec un bond surprenant de 66% en Finlande ! À moins d'ajouter aux utilisateurs enregistrés les visiteurs di site, comme l'a fait Social Media Today, qui évoque du coup une chute d'audience.

Une élection US « quitte ou double » ?

Soit. Polarisante et politiquement biaisée comme jamais, la plateforme du temps (ir)réel pourrait voir son destin changer dès le 6 novembre, suite aux élections présidentielles américaines, qui se jouent en partie sur les réseaux sociaux. On aura alors une meilleure idée des intentions (ir)rationnelles, politiques, économiques et médiatiques, qui se cachaient derrière ce rachat.

Après s’être invité comme un chef d’Etat aux quatre coins du monde, y compris aux pays des extrémistes Benyamin Netanyahou et Giorgia Meloni, l'autrefois supporter du Démocrate Barack Obama mène une campagne d’enfer en faveur du Républicain Donald Trump, qui lui a promis un poste en vue en cas de retour à la Maison blanche, celui de Commissaire en charge d'évaluer l'efficacité du gouvernement Trump.

Elon Musk, qui s'entretient régulièrement avec Poutine, est l'un des plus grands donateurs de la Team Trump (75 millions USD à ce jour, via un mécanisme complexe) et organise des meetings ainsi qu'une loterie probablement illégale (1 million par jour pour un.e signataire d'une pétition pro-armes et pro-free speech inscrit.e sur les listes de vote dans l'un des "swing states").

Il a mis sa plateforme au service de la cause républicaine et des idées les plus radicales.

Le Washington Post a d'ailleurs démontré que les Républicains postent désormais davantage sur X que les Démocrates, qu'ils et elles étaient davantage suivi.e.s et voyaient leurs contenus être bien davantage viralisés que ceux de la #TeamHarris.

Et, fort de ses 202 millions de followers, Elon Musk prend plus que jamais la parole pour promouvoir Trump... ou descendre Harris et ses soutiens. En multipliant les campagnes organiques et payantes (y compris sur X).

En cas de victoire de Kamala Harris, tout l'écosystème d'Elon Musk serait-il "complètement foutu", comme il le prétend ? Son maillon faible, X, pourrait-il alors être revendu ? Ou déclaré en faillite ? Échecs et mat ? Pas sûr...

En cas de victoire du fasciste de 78 ans, en revanche…

Xavier Degraux

Auteur

Xavier DegrauX

Depuis près de 15 ans ans, je conseille et forme les pros du marketing, de la communication, des ressources humaines et de la vente au marketing digital et aux réseaux sociaux (Instagram, LinkedIn, Threads…). En français et en anglais. En distanciel et en présentiel. En France, en Belgique, au Luxembourg…

Ancien journaliste économique, je continue à privilégier les approches éditoriales et conversationnelles.

Je partage mes propres contenus et ma veille sectorielle
sur LinkedIn, sur Threads, sur mon blog et via ma newsletter.

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