Explosion du volume de contenus, d’interactions et de messages privés d’un côté. Algorithmes, outils de modération et ciblages publicitaires de l’autre. L’Intelligence Artificielle (IA) va-t-elle renforcer les réseaux sociaux… ou, au contraire, les tuer ?
Meta vient d’annoncer l’intégration de Meta AI aux barres de recherches, aux fils d’actus et aux messageries privées de Facebook, Instagram, WhatsApp et Messenger, dans 14 pays anglophones pour le moment (États-Unis, Australie, Canada, Singapour, Afrique du Sud…).
Également accessible via meta.ai, ce concurrent direct de la version gratuite de ChatGPT (Open AI), est basé sur Llama 3, le Large Language Model (LLM) open source créé par la société dirigée par Mark Zuckerberg.
Ce bot permet de générer du texte, de répondre à un large spectre de questions — notamment grâce à l’intégration de Google et de Bing — et de créer des images, statiques, animées (GIFs) et vidéos.
En passant, il permet à Meta de collecter des tas de nouvelles données personnelles monétisables, de détecter les (prochaines) tendances et d’attirer les développeurs AI les plus en pointe…
Même LinkedIn est à fond
C’est que la course à l’IA, encouragée par les marchés financiers, est bel et bien lancée. Sur tous les fronts. Et sur tous les réseaux sociaux. Y compris LinkedIn, la plateforme professionnelle souvent très peu innovante qui, cette fois, profite pleinement de la proximité entre sa société-mère, Microsoft, et la scale-up gérée par Sam Altman, Open AI.
Concrètement, LinkedIn propose à ses membres premium ni plus ni moins que la création ou l’enrichissement de posts, des suggestions de commentaires, la génération d’InMails (messages privés payants), l’optimisation de leurs profils, l’analyse des offres d’emploi… et des profils qui candidatent, des conseils pour la création de campagnes publicitaires plus efficaces…
Moins souvent cités, Snapchat, pourtant pionnier en matière d’IA générative avec son bot MyAi, TikTok (Bytedance) avec son assistant créatif et X (ex-Twitter) avec Grock ne sont pas en reste…
C’est bien simple : il ne se passe plus une semaine sans que les géants des réseaux sociaux ne communiquent sur leurs développements en IA.
Pour le meilleur et pour le pire
Le mariage de l’IA et des réseaux sociaux n’est pas récent. Consommé depuis des lunes autour des algorithmes, de la traduction automatique en temps réel, de la reconnaissance vocale et de la reconnaissance d’images, il prend cependant, aujourd’hui, une toute autre ampleur. Il accélère.
Au point qu’il est légitime, me semble-t-il, de nous interroger sur ses atouts… et ses limites :
- Certes, l’IA permet d’améliorer la sacro-sainte « expérience utilisateur », en la personnalisant à outrance.
Mais les effets d’une forte limitation de la diversité des points de vue dans les fils d’actualités ont déjà été largement étudiés par les scientifiques. Tout comme ceux de la priorisation, par les réseaux sociaux, des contenus les plus engageants (vis-à-vis des marques, surtout, qui raffolent d’ultra-ciblage) et/ou des contenus les plus clivants. Et, avec ou sans respect de la vie privée, bonjour les dégâts générés par les chambres d’écho et les bulles de filtre…
- Certes, l’IA permet de pondre du contenu textuel et visuel plus ou moins potable en des temps records.
Oui, mais ces volumes vont encore aggraver l’infobésité ambiante, qui pose déjà d’énormes problèmes individuels et collectifs. Sanitaires, mais pas que.
L’invisibilisation de certaines voix, y compris celles de médias « traditionnels » et de politiques, noyées dans une espèce de discours gloubiboulga homogénéisé, en fait clairement partie. D’autant que ces voix sont de plus en plus souvent contrées par des campagnes de désinformation et des deepfakes, qui sapent encore un peu plus la confiance dans les sources et les institutions les plus fiables… Vicieux, le cercle !
- Certes, l’IA ouvre un boulevard à la créativité.
Sauf que, pour le moment en tout cas, les défis liés au respect des droits chers aux créateurs et aux créatrices sont loin d’être relevés. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, faux et « authentique » se côtoient sans distinguo, Même si on notera que Meta a annoncé vouloir marquer les contenus visuels générés par IA. Ou du moins, restons précis, les contenus qu’il va générer avec Meta AI et les contenus générés par IA qu’il parviendra à identifier comme tels… Ce qui nous amène au dernier point.
- Certes, l’IA et les algorithmes d’apprentissage automatique (machine learning) permettent de mieux identifier, examiner et retirer ou restreindre les contenus inappropriés ou toxiques, qui violent les lois et/ou les conditions générales d’utilisation des réseaux sociaux. Bref, de mieux les modérer. À grande échelle, rapidement, de façon cohérente et avec précision. Avec des outils comme Shaip ou Snorkel, par exemple.
Mais les outils ont leurs limites. Les biais sont intrinsèques aux outils, comme l’a très bien expliqué Mathilde Saliou, par exemple, dans son livre « Technoféminisme, comment le numérique aggrave les inégalités » (Grasset, 2023) et au cours d’un live que j’ai eu le plaisir d’animer.
Les contextes de communication et les complexités du langage humain ne sont pas toujours saisis, surtout dans certaines langues peu pratiquées dans la Silicon Valley.
Pire encore : l’opacité des plateformes concernant les sources d’entraînement de leurs outils d’IA et leurs processus décisionnels n’a pas encore été levée par les régulateurs. Pas même en Europe, où le prometteur Digital Services Act (DSA) est pourtant en application depuis août dernier.
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Une question de valeur ajoutée
En un mot comme en cent, une dépendance accrue à l’IA et aux réseaux sociaux soulève de sérieuses questions éthiques et des craintes de censure. Mais pas seulement.
Avant de s’inquiéter pour nos démocraties, il faudrait déjà répondre à la question à 5 prompts : les milliards de personnes qui fréquentent les réseaux sociaux, dont les 3,19 milliards au quotidien dans les applis de Meta, vont-elles vraiment accrocher à l’IA ?
On se souviendra qu’en 2017, comme l’a d’ailleurs rappelé Social Media Today, Facebook avait intégré M à sa platefome. M ? Un bot dopé à l’IA, dont l’usage était tellement faible que Facebook l’a discrètement abandonné quelques mois plus tard…
Meta AI est nettement plus puissant que feu M, me rétorquerez-vous. À juste titre. Mais son ADN n’est pas davantage compatible avec celui d’un réseau… social. Un réseau au départ destiné à connecter des êtres humains entre-eux, amis et familles avant tout.
Vers des réseaux sociaux synthétiques ?
Utilisé comme un moteur de recherche avancé à la perplexity.ai, Meta AI pourrait même faire diversion par rapport aux fils d’actualités de Facebook et Instagram, et par rapport aux fils des conversations dans Messenger et WhatsApp.
Ensuite, utilisé comme ChatGPT ou son petit frère Dall.e, voire comme Midjourney, Meta AI, gratuit mais encore assez basique, pourrait inonder Facebook, Insta, WhatsApp et Messenger avec des contenus synthétiques, créés à grands coûts écologiques… et auxquels répondraient des commentaires et des messages privés tout aussi synthétiques.
Science-fiction ? Sur LinkedIn, il arrive déjà que des candidats publient des posts et des commentaires générés par IA pour être repérés par des employeurs et des recruteurs potentiels et renvoyer vers leurs profils, optimisés avec l’IA.
Ensuite, ces profils sont détectés et sélectionnés par IA, parfait petit assistant de recruteurs et de responsables des ressources humaines qui s’aident ensuite de l’IA pour envoyer des messages plus ou moins personnalisés à leurs cibles. Cibles qui s’aident ensuite de l’IA pour mieux répondre (et correspondre)…
Et si la balle était dans notre camp ?
Facebook, Instagram, WhatsApp, Messenger, LinkedIn… Des réseaux « sociaux » synthétiques, fréquentés par des avatars stéréotypés et des bots qui « communiquent » entre-eux, ça ne vous rappelle rien ?
Et si l’intégration de plus en plus profonde de l’IA dans les réseaux sociaux, plutôt subie (dictée ?) que souhaitée jusqu’ici, n’était qu’une étape vers… les métavers ?
C’est vraisemblablement le souhait des plateformes. Mais est-ce pour autant celui de leurs utilisatrices et utilisateurs ?
À nous, individuellement et collectivement, de le décider. L’IA et les réseaux sociaux ne sont que des outils.
L’IA ne tuera pas les réseaux sociaux. Mais l’usage que nous en ferons, peut-être…
P.S.: Merci déjà pour vos relais… sur les réseaux sociaux 😉