Non, Meta ne modifie pas son modèle économique en lançant des abonnements à Facebook et Instagram en Europe dès novembre ! Au contraire… Explications !
Meta tente une pirouette juridique en Europe. Le groupe de micro-ciblage publicitaire co-fondé et dirigé par Mark Zuckerberg lance une offre alternative payante, un abonnement sans pubs (9,99 EUR/mois par compte Facebook ou Instagram, depuis le web, ou 12,99 EUR/mois pour les apps mobiles iOS et Androïd)…. Objectif ? Maintenir son modèle « gratuit » envers et contre tout.
Vous avez dit « étrange » ? Meta lancerait une offre payante pour renforcer son offre gratuite ? Exactement !
Je m’explique, après l’avoir fait brièvement pour la RTBF, sur La Première, le Web et dans le JT. Ainsi que pour RTL Info, sur Bel RTL et RTL-TVi.
Mais rappelons d’abord que Meta, dont 98,52% des revenus sont générés par la publicité ciblée, a déjà été condamné à plusieurs reprises sur le Vieux continent, dont quatre fois depuis janvier 2023, pour violation du Règlement Général de Protection des Données (RGPD, en vigueur depuis 2018). Que le groupe américain est également encadré, toujours en Europe, par le Digital Services Act (DSA, 2023). Et, bientôt, par le Digital Market Act (DMA, 2024).
Une offre de façade
Car c’est bien sur ce terrain régulatoire que les abonnements de Meta doivent être analysés…
« La Cour Européenne de Justice a expressément reconnu qu’un modèle d’abonnement, tel que celui que nous annonçons, constitue une forme valide de consentement pour un service financé par la publicité », a d’ailleurs indiqué Meta dans son communiqué de presse de lancement, en faisant référence à une décision du 4 juillet dernier,
Autrement dit : si vous ne payez pas pour accéder à Facebook ou Instagram, c’est que vous choisissez délibérément les conditions liées à l’offre « gratuite » de Meta, financée par la publicité ciblée, elle-même basée sur la récolte de vos données personnelles et sur le tracking de vos comportements en ligne.
« Consentement »
On verra si Meta trouve une solution spécifique pour les Européne.ne.s de moins de 18 ans, qui ne peuvent plus du tout être ciblé.e.s par de la publicité depuis l’entrée en vigueur du DSA, le 25 août dernier…
Mais on verra surtout si les juristes du régulateur irlandais (le siège européen de Meta est installé à Dublin), et les juristes de la Commission européenne, une fois le DMA entré en vigueur, auront la même interprétation du terme « consentement ».
Dans la décision de la Cour européenne de Justice, en tout cas, j’ai trouvé cette définition : « toute manifestation de volonté, libre, spécifique, éclairée et univoque par laquelle la personne concernée accepte, par une déclaration ou par une action positive claire, que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement ».
Je répète : « Une action positive claire »… Or, jusqu’ici, ce n’est pas le terme qui me vient spontanément en tête pour décrire le loooong contrat que nous signons, sans le lire le plus souvent, pour accéder à Facebook et Instagram. Mais la Justice tranchera…
Abonnements onéreux
En attendant, un peu plus de 5 ans après le scandale Cambridge Analytica et un peu plus de 4 ans après la disparition du slogan « Facebook est gratuit et le sera toujours » de la page d’accueil de Facebook, je pense que les utilisateurs/trices de Meta ne se rueront pas sur ses premiers abonnements.
D’une part, les consommateurs sont habitués au modèle « gratuit » actuel. Un modèle qui n’empêche pas, d’ailleurs, d’être moins traqués et ciblés au laser… à condition de modifier les paramètres par défaut. D’utiliser un bloqueur de pubs. Ou de prétendre avoir moins de 18 ans.
D’autre part, en Europe, un utilisateur Facebook moyen rapporte à Meta 17,73 EUR par trimestre, donc 5,91 EUR par mois, en publicités ciblés. Les tarifs annoncés sont donc directement très élevés par rapport à la valeur ajoutée intrinsèque de cette « offre », minimum deux fois plus coûteuse que les rentrées publicitaires qu’elle est censée compenser. Sans la moindre explication jusqu’ici.
Or, toujours d’après le jugement de la Cour européenne de justice, une éventuelle offre payante alternative devrait être basée sur un « tarif nécessaire et approprié ». Oui, vous l’avez compris, comme pour la notion de « consentement », une autre querelle juridique est en vue…
D’autant que les forfaits des autres plateformes qui testent ou se sont déjà lancées dans le payant (Snapchat, X, Tumblr, Reddit, TikTok…), le plus souvent en augmentant les fonctionnalités et les privilèges plutôt qu’en réduisant ou annulant la pression publicitaire, sont nettement moins élevés (autour des 4-5 EUR/mois).
Dans tous les cas, on notera aussi que ces offres payantes ne sont parvenues à séduire que max. 1% des bases d’utilisateurs concernés jusqu’ici…
Enjeux fondamentaux
Pour toutes ces raisons, économiques et juridiques, le basculement de Meta vers un modèle payant, au moins en Europe, n’est pas pour tout de suite.
Mark Zuckerberg, qui vient d’annoncer des résultats trimestriels supérieurs aux attentes du marché, tout en ayant supprimé 24% de ses effectifs en un an, va encore générer quelques dizaines de milliards de dollars en publicités, en récoltant et commercialisant les données personnelles de ses membres européens.
La balle est dans le camp des régulateurs européens et de la Commission, plus armée que jamais pour faire respecter le droit européen.
Et l’enjeu n’est pas mince…
Si la pirouette juridique de Meta fonctionne, tous les efforts entrepris depuis une dizaine d’années par les autorités européennes pour tenter de réguler le marché publicitaire en ligne et protéger les données personnelles de leurs 448,3 millions de citoyens tombent à l’eau, à quelques mois des prochaines élections…
Dans l’autre sens, si Meta perd complètement la bataille, c’est son modèle économique (et celui de tous les autres réseaux sociaux), qui est en danger, avec un risque de « contagion » hors Europe, deuxième marché mondial. Ni plus ni moins.
Sa communication ne trompe d’ailleurs pas.
Une décision « urgente et contraignante » qualifiée d’ « injustifiable »
Deux jours après l’annonce de ses abonnements, Meta a réagi plus rapidement et plus violemment que jamais lorsque le régulateur européen de la protection des données (EDPB) lui a signifié que l’interdiction de toute « publicité comportementale » que lui a imposée la Norvège cet été sera étendue à l’ensemble des pays de l’UE et de l’Espace économique européen sous deux semaines.
Une « décision urgente et contraignante » que Meta a directement fustigée. « Meta a déjà annoncé que nous donnerions aux citoyens (européens) la possibilité de donner leur consentement et, en novembre, nous proposerons un modèle d’abonnement pour se conformer aux exigences réglementaires », a immédiatement réagi un porte-parole de Meta dans une déclaration transmise à l’AFP.
« Les membres de l’EDPB étaient au courant de ce projet depuis des semaines et nous étions déjà pleinement engagés à leurs côtés pour parvenir à un résultat satisfaisant pour toutes les parties ».
La décision de l’EDPB « ignore de manière injustifiable ce processus réglementaire prudent et robuste », a-t-il conclu… Jusqu’à la prochaine passe d’armes.