Pourquoi OpenAI crée son propre réseau social (et ce que cela nous dit de l’avenir des plateformes)

Pourquoi un réseau social signé OpenAI ? Quelles motivations stratégiques, quels enjeux de données, quelles rivalités, et quelles conséquences pour les pros du marketing, de la communication et du contenu ? Analyse d’un mouvement qui pourrait redessiner durablement l’avenir des plateformes sociales.

D'après The Verge, OpenAI, la société surtout connue pour son assistant ChatGPT, prépare un espace qui pourrait bien intéresser tous les professionnels du marketing, de la communication, des médias et de la tech. Un réseau social d'un nouveau genre. Un espace où on pourra vous parler, vous observer, vous faire interagir avec les modèles de langage maison... et, potentiellement, vous retenir.

"Bien que le projet n’en soit qu’à ses débuts, un prototype interne existerait déjà, explique The Verge. Il serait centré sur la génération d’images via ChatGPT, avec un fil social intégré. Le PDG Sam Altman aurait discrètement sollicité des retours extérieurs sur cette initiative. On ignore encore si OpenAI envisage de lancer ce réseau sous forme d’application indépendante ou de l’intégrer directement à ChatGPT — devenu en mars l’application la plus téléchargée au monde.

Bien. Mais quelles sont les dynamiques profondes qui motivent ce choix ?

Voici ma première analyse, à chaud.

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L'or noir de l'IA : les données sociales

Les grands modèles de langage, comme GPT-4 ou LLaMA, ont besoin d'être nourris en permanence : textes, images, interactions humaines, discussions en ligne...

Ce qui distingue les données qui circulent sur les réseaux sociaux, c'est qu'elles sont à la fois contextuelles, spontanées et émotionnelles. Elles reflètent la manière dont les humains interagissent, argumentent, plaisantent ou s'indignent en temps réel.

Contrairement aux données encyclopédiques (structurées et figées) ou transactionnelles (factuelles mais pauvres en nuances), les données issues des réseaux sociaux sont d'une richesse incomparable pour entraîner une IA qui aspire à comprendre les humains dans toute leur complexité.

Or, à mesure que les plateformes sociales verrouillent l'accès à leurs données, OpenAI se retrouve dans une position de dépendance. Contrairement à certains de ses concurrents :

  • Meta entraîne LLaMA avec les contenus issus de Facebook, Instagram et WhatsApp
  • X (ex-Twitter) alimente Grok, l'IA de xAI (Elon Musk), en exploitant directement ses propres données
  • Reddit commence à monétiser l'accès à ses forums

OpenAI, elle, n'a pas de plateforme sociale. Pas de fil conversationnel. Pas d'interactions humaines à analyser en direct.

Créer un réseau social, c'est s'assurer un accès continu, exclusif et auto-alimenté à la matière première de l'IA.

Ne plus dépendre des autres

C'est aussi une stratégie de souveraineté. En développant sa propre interface, OpenAI ne sera plus tributaire de Microsoft (Copilot), d'Apple (Siri), ou de plateformes sociales tierces pour toucher ses utilisateurs.

OpenAI crée son propre canal, sa propre expérience, son propre réseau.

Une plateforme IA-native, où tout est conçu dès le départ pour intégrer les fonctionnalités de ChatGPT... sans la moindre friction. Et qui pourrait générer ses propres revenus, comme Meta ou X (publicité, abonnements, contenus premium, APIs...).

L'IA comme moteur de l'expérience sociale

Ensuite, contrairement aux réseaux sociaux actuels, où l'IA vient se greffer (comme les suggestions automatiques de réponses ou de commentaires sur LinkedIn par exemple), OpenAI veut concevoir une expérience entièrement centrée sur l'IA (sous forme d'assistants ou de suggestions). Avec :

  • Génération d'images
  • Suggestions de posts engageants
  • Aide à la création de contenus
  • Personnalisation du fil grâce aux modèles conversationnels
  • Modération dopée à l'IA, pour un environnement plus sûr (en théorie)

L'ambition ? Offrir une plateforme où l'IA n'est pas un outil "à côté", mais le coeur même de l'interaction sociale.

Une contre-offensive face à Musk, Zuckerberg... et Perplexity

Par ailleurs, OpenAI n'agit pas dans le vide. Son projet répond à un contexte concurrentiel "en pleine mutation", comme diraient les mauvais consultants.

Un terrain d'expérimentation idéal pour l'IA générative

Les réseaux sociaux sont les lieux par excellence de la conversation, de l'humour, de la réactivité, du mimétisme, de la viralité. Bref, tout ce que l'IA peine encore à saisir vraiment.

En créant son propre réseau, OpenAI s'offre un bac à sable idéal pour :

  • Tester ses modèles en conditions réelles
  • Récolter du feedback comportemental (ce qui clique, ce qui se partage, ce qui provoque un commentaire...)
  • Ajuster en continu ses réponses et suggestions
  • Détecter les biais et hallucinations à travers les réactions de la communauté
  • ...

C'est aussi, je pense, un moyen de réduire les hallucinations : plus l'IA est exposée à des boucles de validation sociales, plus elle apprend à corriger ses erreurs.

Une réponse directe à Elon Musk

Enfin, le projet de réseau social d'OpenAI est aussi un acte egotique : celui de Sam Altman face à Elon Musk. Les deux anciens alliés sont devenus rivaux, chacun évoluant dans une logique de puissance : infrastructure, IA, influence publique...

  • Musk possède une plateforme (X) et une IA (Grok)
  • Altman veut montrer qu'il peut faire mieux, plus ouvert, plus puissant, plus engageant

Souvenez-vous : en février, l'homme le plus riche de la planète souhaitait prendre le contrôle, pour 97 milliards USD, du créateur de ChatGPT et le ramener à sa mission initiale de laboratoire de recherche à but non lucratif. Sam Altman lui avait proposé à la place de racheter l'ex-Twitter.

Des promesses... et de nombreux défis

L'idée d'un réseau social signé OpenAI intrigue, excite aussi, mais soulève aussi des doutes :

  • Convaincre les utilisateurs de rejoindre une nouvelle plateforme n'est jamais gagné, surtout face à Facebook, Instagram ou X.
  • Une IA, aussi évoluée soit-elle, pourrait-elle vraiment gérer le débat public, les conflits, les abus ?
  • Les contenus seront-ils exploités pour entraîner les modèles ? Quid du consentement ?
  • Au noveau de la monétisation, comment équilibrer gratuité, publicité et valeur ajoutée ?

Vers des réseaux sociaux "IA-native"

Bref, OpenAI veut réussir là où d'autres n'ont pas encore osé aller : créer une plateforme sociale où l'IA n'est plus un plugin, mais le moteur même de l'interaction.

La prochaine grande bataille ne se jouera peut-être donc pas entre humains et IA, mais entre plateformes qui hébergent l'IA... et plateformes qui sont l'IA.

Pour les professionnels du marketing, de la communication ou du contenu, cela implique, d'ores et déjà, de réinterroger les stratégies de diffusion, d'adopter de nouveaux formats "IA-native", et de repenser les modèles de veille et de création face à des fils sociaux pilotés par des algorithmes "génératifs".

Ce mouvement pourrait redessiner en profondeur l'écosystème numérique. Et nous obliger, nous, professionnels du marketing, de la communication et de la tech, à repenser les codes de l'influence, de la création et de la conversation.

Reste à voir si les utilisateurs suivraient...

Xavier Degraux

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