Réseaux sociaux : quelle est l’empreinte des partis politiques belges francophones ?

(Article publié le 1er juin 2023)

À un an des prochaines élections, comment les partis politiques francophones belges et leurs président.e.s gèrent-iels leurs réseaux sociaux ? Réponses en quelques chiffres clés !

Je me suis demandé si, en Belgique, un an (maximum) avant les prochaines élections européennes, fédérales et régionales, certains partis francophones n’étaient pas, déjà, en pré-campagne sur les réseaux sociaux. Et, plus globalement, comment se comportaient-ils sur les principaux réseaux sociaux.

J’ai donc analysé leurs stratégies payantes (comprenez « publicitaires ») et organiques pour recruter de nouveaux/elles abonné.e.s et fidéliser, voire engager, leurs communautés sur Facebook, Instagram, Twitter, TikTok et LinkedIn.

Voici les résultats qui m’ont le plus interpellé.

Les comptes Facebook et Instagram des Engagés sont les plus dépensiers

Au cours des 90 derniers jours, entre le 24 février et le 23 mai 2023 précisément, Les Engagés (ex-CDH) est le mouvement politique francophone belge qui a le plus dépensé en publicités ciblées sur ses comptes officiels Facebook et Instagram. Le mouvement a déboursé la somme de 23,9K EUR, dans un total de 327 publicités ciblées différentes (soit 73 EUR pièce), avec un ciblage surtout basé sur des centres d’intérêt spécifiques comme… l’écologie, l’environnement, les produits durables et l’éthique.

Le PTB et Ecolo complètent le podium.

Le parti d’extrême gauche a diffusé 48 annonces ciblées, pour un montant total de 20,3K EUR (444 EUR/pièce), en sur-représentant dans ses ciblages les professionnels de la communication, du journalisme et de la publicité. Sans doute pour créer un effet rebond.

Les Verts, eux, ont fragmenté un budget de 14K EUR en 80 pubs (moyenne : 175 EUR), en ciblant des profils plutôt militants intéressés par l’écologie, l’environnement, la santé la question du genre, le bio, les vélos (électriques)…

Georges-Louis Bouchez, président le plus sponsorisé

Du côté des pages des président.e.s de parti, en revanche, c’est le MR Georges-Louis Bouchez qui surclasse tout le monde, y compris Raoul Hedebouw (PTB) et Paul Magnette (PS). Avec 15,5K EUR dépensés au cours des 3 derniers mois sur ses comptes Facebook et Insta, répartis en 66 pubs ciblées (235 EUR/pub), avec un accent sur les finances personnelles, l’immobilier, les PME, les indépendants…

On notera que Georges-Louis-Bouchez est aussi le président qui, en termes de ratio « dépense de la page perso du président » vs « dépense totale du parti », se distingue le plus, avec 54,77%, devant Paul Magnette (34,6%) et Raoul Hedebouw (27,9%).

Rajae Maoune, seule présidente du côté francophone, pèse 2% des dépenses d’Ecolo sur Facebook et Insta.

Quant à Maxime Prévot (Les Engagés) et François Desmet (DéFI), ils n’ont tout simplement pas créé de pub sur Meta au cours des derniers mois, alors que Jean-Marc-Nollet, le co-président d’Ecolo, n’a pas de compte certifié.

Parti+Président = PTB en tête

Justement, quel classement obtient-on lorsque l’on additionne les dépenses des comptes officiels et celles des président.e.s ?

Au total, c’est le PTB emmené par Raoul Hedebouw qui s’avère le plus dépensier, avec 29,55K EUR au cours des 3 derniers mois (21,3K EUR pour la page francophone du parti + 8,25K EUR pour la page francophone de son président).

Suivent le MR de Georges-Louis Bouchez (28,3K EUR) et le mouvement des Engagés conduit par Maxime Prévot (23,9K EUR).

NVA, Vlaams Belang et Vooruit en Flandre

Voilà pour les 6 partis politiques belges francophones. Et en Flandre, me direz-vous ? C’est une toute autre histoire… Et une toute autre dimension.

L’aile flamande du PTB, le PVDA, a dépensé 3,5 fois davantage que du côté francophone sur la même période. Soit 103,2K EUR, page Facebook néerlandophone de Raoul Hedebouw comprise.

Mais, en Flandre, il n’est pas du tout en tête du classement. Il est 4ème, derrière la NVA de Bart De Wever (367,7K EUR), le Vlaams Belang de Tom Van Grieken (274,6K EUR) et le Vooruit (ex-SP.a) emmené par Conner Rousseau (133,9K EUR).

90,7% des dépenses en Flandre !

On l’aura compris, en Belgique, les dépenses publicitaires des partis/mouvements politiques sur Facebook et Instagram, qu’il est permis de tracer grâce à la bibliothèque publicitaire de Meta depuis avril 2019, sont surtout des dépenses réalisées au Nord du pays !

Sur les 13 principaux partis politiques belges, dont 7 Néerlandophones, les 7 plus dépensiers sont… tous actifs au Nord. Ensemble, ils ont dépensé 1,053 Mio d’EUR au cours des 90 derniers jours.

Pour le dire autrement, avec 108,19K EUR, les 6 partis francophones belges ne pèsent « que » 9,3% des dépenses publicitaires réalisées sur Meta au cours des 3 derniers mois.

Retour en Flandre. À eux seuls, les deux partis nationalistes du Nord, bien représentés à la Chambre et (donc) bien dotés par l’État, ont dépensé 642,3K EUR au cours des 3 derniers mois, soit 55,29% du total des 13 partis belges. Et le parti d’extrême gauche PVDA/PTB, a investi 132,75K EUR (11,43% de l’ensemble).

La N-VA 1er annonceur sur Meta

Les partis situés aux extrêmes de l’échiquier politique, qui plus est lorsqu’ils sont dans l’opposition, sont clairement les plus dépensiers. Et ce n’est pas nouveau !

Depuis avril 2019, sur les quelques 16,2 Mio EUR dépensés par l’ensemble des partis politiques belges sur Meta, 12,18 Mio EUR l’ont été par le trio NVA, Vlaams Belang, PVDA/PTB. Soit 75,17% de la manne totale. Traduction libre : ils ont entraîné les autres partis, flamands d’abord, francophones ensuite, dans leurs sillages dépensiers…

En passant, on rappellera que tous ces montants ne tiennent pas compte des pages Facebook locales et des comptes Instagram locaux des partis. Ni des comptes des ministres et autres représentant.e.s. Ni des éventuelles pubs sur les autres réseaux sociaux. Ni des campagnes menées dans les services d’Alphabet (Google, YouTube…), l’autre géant de la pub en ligne. Ni même dans les applications tierces, comme Candy Crush par exemple, dans laquelle les pubs récentes du PTB ont été remarquées..

Décélération par rapport à 2022

Mais est-on pour autant dans une phase d’accélération des dépenses, globalement, à un an des prochaines élections, comme le prédisaient certains observateurs il y a quelques mois encore ? Non. Au contraire.

Sur l’ensemble de 2022, les partis politiques belges avaient dépensé 4,99 Mio EUR (soit 0,64 EUR/habitant), ce qui représentait une hausse de 6% par rapport à 2021, selon les calculs d’AdLens, une équipe belge d’activistes, journalistes, chercheurs et analystes de données qui « travaillent pour davantage de transparence des publicités politiques sur Facebook ».

Si l’on compare à présent le chiffre clé de 2022 aux très éventuels 4,64 Mio EUR dépensés en 2023, obtenus en multipliant simplement par 4 les montants relevés par nos soins (3 mois x 4 = 1 an ;-)), on se dirigerait, en 2023, vers un recul de quelque 7% du montant global dépensé sur Facebook et Instagram,

Toujours en extrapolant les montants dépensés au cours des 3 derniers mois, Les Engagés et le PTB seraient en baisse, donc plus économes, tandis qu’Ecolo, le MR, le PS et Défi seraient en (plus ou moins forte) hausse, donc plus dépensiers.

Régulation avant les élections ?

Mais restons factuels : l’année pré-électorale, qui s’achèvera à peu près 4 mois avant les élections, c’est-à-dire juste avant le début d’une « période de prudence » synonyme de dépenses obligatoirement limitées pour les partis, est loin d’être finie. Une accélération de « dernière minute » semble très probable.

Dans l’autre sens, et même si l’agenda commence sérieusement à se resserrer, il n’est pas exclu que les partis de la majorité finissent par nouer un accord sur une éventuelle limitation des dépenses consacrées aux publicités et publications sponsorisées sur les réseaux sociaux. Ils en discutent depuis longtemps.

Lors de mon dernier live sur LinkedIn « Belgique : comment les partis utilisent-ils les réseaux sociaux ? », les responsables des réseaux sociaux d’Ecolo, du PS et de DéFI s’y montraient favorables. Celle du MR ne souhaitait pas se prononcer à titre individuel (mais son parti semble toujours s’y opposer). Les Engagés et le PTB n’étaient pas représentés lors de cet échange (bien qu’invités).

Autre élément qui pourrait chambouler la donne : le groupe Meta pourrait tout simplement renoncer aux rentrées publicitaires politiques en Europe plutôt que d’accéder aux exigences de la Commission, selon un article récent paru dans le Financial Times. Pour rappel, l’Europe a demandé à Meta, en février dernier, de fournir davantage de données sur leurs publicités politiques ciblées, sous peine d’amendes pouvant aller jusqu’à 4% de son chiffre d’affaires mondial.

L’organique plutôt en phase avec le payant

Voilà pour la composante publicitaire de l’empreinte des partis politiques belges sur les réseaux sociaux. En tout cas ceux du groupe Meta, les autres ne permettant pas le même exercice.

Mais du côté organique (non-payant), le rapport de forces entre les partis francophones belges actifs sur les réseaux sociaux est-il du même acabit ?

Pour le savoir, nous avons analysé, là aussi, les comptes officiels des partis et ceux de leurs président.e.s. Sur une période d’un mois et de trois mois, avec deux outils différents, histoire de limiter les biais. Et en nous concentrant sur les taux d’engagement, sur les rythmes de publication et sur les tailles des différentes communautés.

Taux d’engagement organiques des partis

Résultats ? Comme nous l’avons déjà brièvement indiqué dans un post LinkedIn, la situation varie énormément d’un réseau à l’autre, y compris au niveau des taux d’engagement observés.

Sur Facebook, Les Engagés, Ecolo et le MR composent le podium des meilleurs taux d’engagement.

Sur Twitter, c’est DéFI, le PTB et Les Engagés.

Sur Instagram, Ecolo, Les Engagés et DéFI.

Et sur TikTok, le PTB devance largement DéFI et le PS, alors qu’Ecolo vient tout juste de se lancer et que ni le MR ni Les Engagés n’affichent de compte.

Pour rappel, le « taux d’engagement » est un indicateur important, en organique, sur la plupart des réseaux sociaux, puisqu’il influence directement la portée/visibilité des posts; les algorithmes viralisant davantage les posts qui génèrent des interactions (likes, commentaires, partages, envoi en MP, sauvegardes…). Or, comme de nombreuses études l’ont démontré, les opinions modérées, tout comme les posts « pédagogiques », génèrent moins d’engagement que les posts clivants, simplistes ou honteusement accrocheurs (défense des petits chats, enfants cromignons…).

Et les partis les plus actifs sont…

En termes de rythme de publication organique, le PTB est clairement en tête sur Facebook, avec 2,1 publications par jour en moyenne (essentiellement des images), devant DéFI et Les Engagés, qui publient tous les deux 1,7 posts quotidiennement.

Sur Instagram (hors stories), toujours au cours des 3 derniers mois, le compte officiel le plus prolixe a été celui des Engagés (1,2 post dans le fil par jour). Ensuite, ex-aequo, on retrouve les comptes du PS, du PTB et d’Ecolo (1 publication/jour).

Sur Twitter, les présences sont particulièrement variées. Le PS tweete et retweete 11 fois par jour en moyenne, le MR 5,7 fois, Ecolo 4,4, DéFI 2,7, le PTB 1,3 et Les Engagés 0,8 fois.

TikTok, lui, est alimenté 0,9 fois par jour par le PS. Les autres partis sont nettement plus modérés sur la plateforme d’origine chinoise (moins d’1 vidéo par semaine), voire tout bonnement absents (MR et Les Engagés).

Le PTB et Raoul Hedebouw ont accumulé le plus de followers sur les réseaux sociaux

Au total, et pour peu que cela ait du sens de le relever, la plus grosse communauté d’abonné.e.s, tous réseaux confondus, est celle du PTB (205K abonné.e.s, non-dédupliqués), devant le PS (117K) et le MR (87K).

Et en ce qui concerne les président.e.s, la palme revient à Raoul Hedebouw (305K, uniquement sur sa page francophone donc). Paul Magnette (226K) et Georges-Louis Bouchez (114K) le « suivent ».

Plus spécifiquement, sur Facebook, les pages les plus suivies sont celles du PTB (177K), du PS (64K) et du MR (41K). Leurs présidents respectifs, Raoul Hedebouw (138K), Paul Magnette (84K) et Georges-Louis Bouchez (50K), font également la course en tête, et dans le même ordre.

Sur Instagram, le PS (15K abonné.e.s), le PTB (14,8K) et Ecolo (11,8K) pointent devant. Tout comme Georges-Louis Bouchez, Raoul Hedebouw (tous deux à 19,4K) et Paul Magnette (19,2K) du côté présidentiel.

Sur Twitter, le trio de tête est composé du MR (33,9K), d’Ecolo (31,2K) et du PS (25,8K). Et, dans le classement des président.e.s, de Paul Magnette (100,1K), Georges-Louis Bouchez (46,8K) et Raoul Hedebouw (33,6K).

Sur TikTok, le PS est loin devant (8,3K). Tout comme Raoul Hedebouw (114,3K), qui surclasse Paul Magnette (19,8K) et Georges-Louis Bouchez (10,4), qui soit dit en passant a interdit à ses ministres de rester sur la plateforme.

Et sur LinkedIn, les plus grosses communautés sont (plus ou moins) actives du côté d’Ecolo (4,8K), du PS (3,8K) et du MR (3,5K). Ainsi que sur les profils de Georges-Louis Bouchez (17,8K), François De Smet (3,6K) et Paul Magnette (3,3K).

Notons enfin que les taux de progression des bases d’abonné.e.s les plus élevés enregistrés au cours des 90 derniers jours sont à mettre au crédit des Engagés sur Facebook, du PS sur Instagram et du PTB sur Twitter.

Comment lisez-vous tous ces chiffres ?

J’ai tenté, dans la mesure du possible, de prendre une photographie de la présence des 6 principaux partis politiques belges francophones et de leurs président.e.s sur les réseaux sociaux, à un an des prochaines élections. En cumulant leur empreinte publicitaire et leur empreinte organique.

Mais que retenez-vous de tous ces chiffres ?

Selon vous, les montants dépensés en publicités ciblées sur Meta par l’ensemble des/certains partis posent-ils problème ? Faudrait-il réguler et, si oui, pourquoi et comment ?

Pourquoi, d’après vous, certains partis jouent davantage la carte (marketing) du collectif ou de l’incarnation présidentielle ? De l’omniprésence ou de la rareté ?

Plus globalement, pensez-vous que la présence des partis (et de leurs président.e.s) sur les réseaux sociaux soient en mesure d’influencer, plus ou moins fortement, les scrutins à venir ?

Je serais vraiment ravi d’échanger à ce sujet avec vous, de façon civilisée ;-), par exemple sur LinkedIn.

Merci d’avoir lu ce billet, le plus looong jamais écrit sur mon blog. Et merci déjà pour votre soutien à le faire connaître… via vos réseaux sociaux, ou de commenter le post LinkedIn associé.

Xavier Degraux

Update 17/06/23 : J’ai aussi analysé les dépenses publicitaires des partis politiques belges sur Alphabet (Google et YouTube)

Auteur

Xavier DegrauX

Depuis près de 15 ans ans, je conseille et forme les pros du marketing, de la communication, des ressources humaines et de la vente au marketing digital et aux réseaux sociaux (Instagram, LinkedIn, Threads…). En français et en anglais. En distanciel et en présentiel. En France, en Belgique, au Luxembourg…

Ancien journaliste économique, je continue à privilégier les approches éditoriales et conversationnelles.

Je partage mes propres contenus et ma veille sectorielle
sur LinkedIn, sur Threads, sur mon blog et via ma newsletter.

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