TikTok en Belgique : les répercussions d’un possible bannissement aux États-Unis

Avec 3,8 millions d’utilisateurs, TikTok est un acteur majeur de l’écosystème numérique belge. Si le réseau vidéo venait à être interdit aux États-Unis, les conséquences, même à Belgique, pourraient être significatives.

TikTok, TikTok, TikTok... L'heure de vérité approche.

Le dimanche 19 janvier 2025, TikTok devrait être banni aux États-Unis, où il compte 170 millions d'utilisateurs, sur un total de plus d'1 milliard à travers le monde.

Cela offrirait un boulevard à Meta (Facebook, Instagram, Threads, Whatsapp...), le réseau social de Mark Zuckerberg (USA), à X, le réseau social d'Elon Musk (USA), à Truth Social, le réseau social de Donald Trump (USA), à Pinterest (USA), à Snapchat (USA), à Reddit (USA)....

Autre possibilité inscrite dans la loi d'avril 2024 visant à mettre un terme aux risques de fuites de données sensibles vers Pékin et à la manipulation de l'opinion publique américaine : ByteDance, la maison-mère chinoise de TikTok, qui accuse la loi d'étouffer la liberté d'expression, devrait en avoir revendu la branche US à une société non Chinoise.

D'après Bloomberg, qui parle de réflexions "préliminaires", TikTok US pourrait être revendu à Elon Musk (X, mais aussi Tesla, Space X, Neuralink, xAI...). "Selon un scénario envisagé par le gouvernement chinois, X (...) prendrait le contrôle du TikTok américain et gérerait les deux entreprises ensemble", indique l'agence ce 14 janvier. Sans évoquer une quelconque marque d'intérêt du côté de l'homme le plus riche du monde, qui avait rencontré Shou Zi Chew, le PDG de TikTok, en novembre dernier. Ni le démenti de TikTok, qui parle de "pure fiction".

À moins que, troisième cas de figure sur lequel je vous ai sondé via LinkedIn, Trump ne trouve d'ici là le moyen de sauver la plateforme qu'autrefois il voulait tant bannir, mais qui aurait contribué à sa dernière victoire électorale et pour laquelle il a déclaré avoir "un faible"...

Qui vivra verra.

Mais dans le cas d'un bannissement du marché américain, le séisme économico-politico-culturel devrait provoquer des ondes de choc jusqu'en Europe. Donc jusqu'en Belgique.

De quelles répercussions parle-t-on, précisément ? Voilà ce que j'entrevois pour les utilisateurs belges de TikTok, tout comme pour les annonceurs et les créateurs, si le réseau venait à disparaître du marché américain....

"Appauvrissement" de l'offre

TikTok compte actuellement 3,8 millions d'utilisateurs mensuels actifs en Belgique, selon une présentation donnée en décembre 2024 par Vincent Pierquet, le patron de la filiale belge.

Et, toujours en Belgique, la plateforme vidéo fait partie des réseaux sociaux les plus « addictifs ». Ceux qui, proportionnellement à leurs audiences mensuelles, ont les plus importantes audiences quotidiennes (64,9% en 2024).

En moyenne, chaque utilisateur Androïd belge de TikTok (Apple ne permet pas ce genre d’analyse) y consacre 20h23 par mois, en ouvrant 530 fois l'application.

J'ignore si les aficionados belges de TikTok consomment beaucoup de vidéos TikTok made in USA, ni si le vide éventuel laissé par cette production US réduite à néant serait comblé par des contenus plus divers ou plus locaux.

Un bannissement américain affecterait forcément l’usage de TikTok en Belgique, probablement à la baisse. Moins de vidéos US, c'est moins de choix et, probablement, moins d'usage.

D'autant que la perte d'un marché clé comme les États-Unis pourrait réduire la capacité d’innovation de TikTok et nuire ainsi à son attractivité.

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Redistribution des budgets publicitaires

Fort de son audience, TikTok est devenu un levier incontournable pour les annonceurs, séduits par ses formats immersifs (courtes vidéos, défis interactifs...) et par ses performances en termes de R.O.I. et d’engagement. Notamment pour viser les moins de 35 ans, alors qu'en Belgique la moyenne d'âge des utilisateurs de la plateforme chinoise est désormais de 29 ans.

En cas de disparition de TikTok aux États-Unis, un effet domino pourrait affecter les budgets publicitaires mondiaux. En Belgique comme ailleurs, les marques locales et les filiales des grands groupes internationaux pourraient réallouer leurs dépenses TikTok vers des alternatives comme  les Reels d'Instagram (Meta) ou les Shorts de YouTube (Alphabet).

Ce qui entraînerait une hausse des coûts publicitaires et une concurrence accrue pour atteindre ces audiences, alors que, pour le moment les dépenses publicitaires consacrées aux réseaux sociaux pèsent environ 500 millions d'EUR par an en Belgique.

Défis pour les créateurs de contenu

La Belgique compte des centaines de créateurs et influenceurs qui utilisent TikTok comme principal canal pour interagir avec leurs audiences. Leurs revenus proviennent majoritairement de partenariats avec des marques et de la monétisation de leurs vidéos.

Si TikTok venait à être affaibli, outre à des recettes et des audiences en baisse, ces créateurs seraient confrontés à plusieurs obstacles :

  • Développer une audience sur une autre plateforme peut prendre des mois, voire des années, surtout face à la saturation des réseaux comme Instagram
  • Les marques, en réorientant leurs stratégies, pourraient délaisser les influenceurs qui n’ont pas de présence multicanal forte
  • TikTok a démocratisé des formats innovants (par exemple, les challenges ou les duos), souvent absents des autres plateformes. Cette disparition pourrait appauvrir l’écosystème créatif

Coup dur pour certaines entreprises belges

TikTok n’est pas qu’un réseau social pour divertir : c’est aussi un outil marketing efficace pour les PME belges. Des start-ups, commerces locaux ou marques émergentes l'utilisent pour atteindre des cibles difficiles à toucher via d’autres canaux, souvent à moindres coûts.

En cas de bannissement ou de perte de confiance dans TikTok, ces entreprises pourraient :

  • Voir leur croissance freinée par des coûts publicitaires accrus sur d’autres plateformes
  • Perdre des opportunités d’exportation via des campagnes virales aux USA
  • Rencontrer des difficultés pour recruter des talents jeunes et numériques, habitués à TikTok comme référence

Plus globalement, les relations commerciales entre la Belgique et la Chine pourraient devenir plus compliquées, notamment pour les entreprises technologiques belges dépendant de partenariats ou d’investissements chinois.

Répercussions géopolitiques

Contrairement aux États-Unis, l’Union européenne adopte une approche axée sur la régulation plutôt que sur l’interdiction. Avec le Digital Services Act (DSA) et le RGPD, l’Europe encadre strictement la collecte et l’utilisation des données personnelles.

Cependant, la pression américaine pourrait amener certains États membres à revoir leur position.

Dans un contexte de refonte de la coopération transatlantique suite à la réélection de Trump, cela pourrait inciter la Belgique et l’Union européenne (150 millions d'utilisateurs TikTok au total) à adopter une position plus stricte, compliquant au passage les relations commerciales avec la Chine.

Inspirées par les mesures américaines, les autorités européennes pourraient par exemple renforcer leurs audits sur la gestion des données utilisateurs, notamment via le Project Clover, ce programme d'investissement (12 milliards d'euros sur 10 ans) lancé en 2023 par TikTok pour sécuriser les données européennes sur le sol européen. Via la création de centres de données en Irlande et en Norvège, la création de passerelles de sécurité et l'audit indépendant de ses infrastructures, par NCC Group.

L'Europe pourrait néanmoins durcir ses exigences, en matière de protection des données certes, mais aussi de transparence algorithmique, de protection des mineurs, de modération des contenus...

Usage restreint par les autorités publiques

Pour rappel, la Belgique a déjà pris des mesures pour limiter l’utilisation de l’application chinoise dans certains contextes.

Depuis mars 2023 (avec prolongation en mars 2024 pour une durée indéterminée), le Conseil national de sécurité a imposé une interdiction temporaire d’installer et d’utiliser l'application TikTok sur les appareils de service des autorités publiques fédérales, en raison de préoccupations liées à la cybersécurité. Et les gouvernements régionaux (wallon, flamand et bruxellois) ont adopté des mesures similaires dans la foulée.

À la même époque, plusieurs institutions et gouvernements européens, comme en France ou aux Pays-Bas, ont également interdit TikTok sur les appareils gouvernementaux pour des raisons de cybersécurité.

Il faut dire que quelques semaines plus tôt, la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne avaient montré la voie en interdisant l’utilisation de TikTok sur les appareils professionnels de leurs collaborateurs.

TikTok sous surveillance européenne

La Commission européenne a par ailleurs engagé plusieurs procédures formelles à l'encontre de TikTok dans le cadre du DSA, visant à évaluer la conformité de la plateforme avec les réglementations européennes.

  • En février 2024, la Commission a ouvert une enquête pour déterminer si TikTok respecte les obligations du DSA concernant la protection des mineurs, la transparence de la publicit, l'accès des chercheurs aux données et la gestion des risques liés à la conception addictive et aux contenus préjudiciables.
  • En avril 2024, une seconde procédure a été initiée pour évaluer si TikTok a enfreint le DSA lors du déploiement de TikTok Lite en France et en Espagne. La Commission examine si la plateforme, qui a fait marche arrière depuis, a correctement évalué et atténué les risques systémiques potentiels avant le lancement de cette nouvelle fonctionnalité, comme l'exige le DSA.
  • Enfin, en décembre 2024, la Commission a ouvert une enquête sur la capacité de TikTok à limiter les ingérences électorales, notamment lors de l'élection présidentielle roumaine. Cette investigation se concentre sur les politiques de la plateforme en matière de publicités politiques, de contenus sponsorisés, et sur les systèmes de recommandation susceptibles d'être manipulés.

TikTok déjà banni dans d'autres pays

L'éventuel bannissement de TikTok aux USA ne serait pas le premier. Plusieurs pays ont déjà pris des mesures similaires, souvent pour des raisons culturelles, idéologiques ou sécuritaires. Comme en Inde, au Pakistan, en Afghanistan, en Somalie et en Albanie.

Mais ces restrictions, bien que significatives, n’ont pas eu de conséquences (in)directes en Europe, où l'esprit est davantage à l'encadrement des plateformes via des régulations comme le Digital Services Act (DSA) et le RGPD plutôt qu'à leur bannissement.

Cette fois, avec un bannissement aux Etats-Unis, la donne pourrait changer...

Xavier Degraux

Auteur

Xavier DegrauX

Depuis près de 15 ans ans, je conseille et forme les pros du marketing, de la communication, des ressources humaines et de la vente au marketing digital et aux réseaux sociaux (Instagram, LinkedIn, Threads…). En français et en anglais. En distanciel et en présentiel. En France, en Belgique, au Luxembourg…

Ancien journaliste économique, je continue à privilégier les approches éditoriales et conversationnelles.

Je partage mes propres contenus et ma veille sectorielle
sur LinkedIn, sur Threads, sur mon blog et via ma newsletter.

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